dimanche 23 novembre 2008

Americans vs. français

Voilà un document qui se rapporte plus à l'interculturel qu'un bébé chinois qui chante ou que les mouvements sexy d'une danseuse de samba brésilienne.

C'est une fiche de lecture, de Catherine Paris, d'après un livre appelé "évidences invisibles" (je connais pas, mais du coup je serais curieuse de le lire).
Désolée c'est long, ça attire pas l'oeil ( maintenant que je connais les exigences de mes lecteurs de blogs!)et c'est très académique contrairement à ce qui nous est demandé dans les "nouvelles formes d'écriture" (les guillemets sont sensés traduire le mépris!); mais le contenu est vraiment intéressant. Ca ressemble un peu à ce qu'on a dû lire en début de semestre sur le site canadien, mais en beaucoup moins "guide du routard" et en beaucoup mieux!
Bonne lecture si vous en avez le temps et le courage, ça peut avoir un effet "rafraîchissant" si vous êtes en plein dans le CECR.



Idées principales
Dans l’introduction, l’auteur explique sa démarche qui consiste à pratiquer l’analyse culturelle : c’est un moyen de parvenir à percevoir comme « normal » ce qui, chez des gens de culture différente, peut paraître au premier abord « étrange ». Dans l’analyse culturelle telle que l’auteur la définit, on cherche à comprendre le système de communication dans lequel le sens est produit et reçu à l’intérieur d’un groupe. L’analyse culturelle ne s’occupe pas de jugement de valeur. Elle permet en particulier d’identifier l’espace dans lequel peut naître le malentendu culturel. Ce malentendu peut être dû à la différence de présupposés culturels dont nous n’avons pas conscience, à une façon de voir le monde que nous avons apprise mais qui nous parait « naturelle ». Dès qu’il y a contact avec une autre culture, il y a possibilité de conflit, puisque les « naturels » ne coïncident pas. Dans une situation de conflit, le malaise ressenti va avoir tendance à être attribué à une caractéristique inhérente à l’autre (« Les Américains/Les Français sont… » suivi de qualificatifs tels que « arrogants », « grossiers », « matérialistes »…) plutôt qu’à une interprétation erronée de notre part. Si les stéréotypes ont la vie dure, c’est qu’ils expriment et reflètent la culture de ceux qui les énoncent : ce que je reproche à l’autre, c’est l’absence de ma propre culture. Avant de pouvoir comprendre la culture de l’autre, je dois prendre conscience de la mienne, des implicites qui informent mon interprétation, de mes évidences. Cette démarche n’est pas aisée et exige une grande discipline intellectuelle.

Premier essai : la maison.
L’auteur constate que la distinction public/privé, à l’intérieur comme à l’extérieur des maisons américaines et françaises, n’obéit pas aux mêmes règles ni aux mêmes implicites. La maison française affiche une distinction privé/public et rue/maison très marquée dès l’extérieur (persiennes aux fenêtres, rideaux, grilles, barrières…) Il n’en est rien pour la maison américaine. A l’intérieur d’une maison française, la ligne de démarcation entre privé et public existe aussi, mais elle est implicite. Elle dépendra du degré d’intimité. Dans la maison française, c’est à celui qui entre dans la maison de connaître les règles et de rester dans les limites spatiales auxquelles sa relation avec son hôte l’autorise. La maison américaine est quant à elle aussi ouverte à l’étranger qu’elle est visible de la rue. C’est à l’hôte américain qu’incombe la responsabilité d’exprimer clairement les limites à ne pas dépasser à celui qui entre dans la maison.
De nombreux exemples de malentendus qui peuvent naître de ces différences sont donnés.

Deuxième essai : la conversation.
Alors que les Américains ont l’impression que les Français « parlent pour ne rien dire », posent des questions sans s’intéresser à la réponse, interrompent sans cesse leur interlocuteur, terminent les phrases à sa place, les Français, eux, taxent les Américains d’avoir une conversation ennuyeuse et de répondre à la moindre question par une conférence. Comment comprendre cela ?
Bien que le mot « conversation » soit le même en anglais et en français, il est loin de signifier la même chose dans les deux cultures. Pour un Français, la relation entre les deux conversants est plus importante que le sujet même de la conversation. La parole que l’on échange « au fil » de la conversation sert à tisser des liens entre les conversants, si ténus soient-ils. Se parler rapproche et en l’absence de toute relation, le silence est normal (c'est-à-dire dans la norme). Pour un Américain, ce qui révèle sa relation avec l’autre, ce n’est pas la conversation, mais l’espace physique qu’il met entre eux. Moins la relation est proche, plus il y a d’espace. Dans un métro bondé par exemple, l’Américain rétablira la distance par la parole, alors que le Français aurait au contraire créé la distance par le silence.
L’art de la conversation est sensiblement différent dans les deux cultures. Si son espace n’est pas menacé, la conversation permet à un Américain de « mieux connaître » l’autre, et de lui donner en retour des renseignements, sans que cela l’engage à maintenir sa relation. Lors de soirées, on peut avoir de longues conversations avec des gens que l’on ne reverra plus jamais, ce qui trouble profondément les Français (« Les Américains sont superficiels ».) La conversation est une exploration (et pas un commentaire sur sa relation avec l’autre personne), et on peut parler aussi longtemps que cela nous paraîtra nécessaire pour enrichir le propos.
Pour un Français, plus les liens sont étroits et plus la conversation sera « animée » et « vivante ». La question posée est un indicateur d’intérêt, mais la réponse n’est pas vraiment attendue. Une question permet de « lancer » la conversation comme une balle. On s’attend à ce que l’autre relance la balle, pas à ce qu’il la garde. Il s’agit de saisir la pause, même brève, pour réagir (et pas d’interrompre). On exprime ainsi la spontanéité, l’enthousiasme, la chaleur. Sans cela, les propos de l’autre « tomberaient à plat ». Même s’il parle parfaitement le français, il est très difficile pour un Américain de participer à une conversation française.

Troisième essai : parents-enfants.
Tandis qu’aux yeux des Français les enfants américains « manquent d’éducation », « se croient tout permis », les Américains s’étonnent de ce que les enfants français puissent rester « sages » pendant des heures.
Pour un Français, mettre au monde un enfant est avant tout un acte social. Dès qu’on devient parent, on doit rendre des comptes à la société sur son comportement à l’égard des enfants. En disant « tu as fini, oui !» je me justifie aux yeux d’autrui. Les parents qui « ne savent pas tenir leur enfant » attirent des regards désapprobateurs. J’ai à lutter contre la nature des enfants (« les enfants vous savez… »). Je défriche un lopin de terre, j’arrache les mauvaises herbes, je taille, je plante, pour en faire un beau jardin qui sera en parfaite harmonie avec les autres jardins. L’enfance française est un apprentissage de règles, de « bonnes attitudes » (« ne cours pas », « ne touche pas », « calmez-vous ! »…), d’imitation de modèles, de préparation au rôle d’adulte. Mais alors que l’enfance est lourde d’interdits l’adolescence est au contraire une explosion de liberté.
Aux Etats-Unis, quand je deviens parent, c’est envers mon enfant que je contracte une obligation plutôt qu’envers la société qui, elle, vient en deuxième place. Mon obligation, plus que de lui apprendre les règles et les usages de la société, est avant tout de lui donner toutes les chances possibles de découvrir et développer ses « qualités naturelles », d’exploiter ses dons, de s’épanouir. Pour reprendre la métaphore du jardin, c’est comme si je plantais une graine dans la terre et me devais de lui donner tout ce dont elle a besoin pour se développer au mieux. Ensuite, j’attends, je suis le développement avec attention, je pourvois aux nouveaux besoins et j’essaie de deviner quelle plante cela va donner. L’enfance américaine est une période de grande liberté, de jeux, d’exploration. Les parents américains évitent au maximum de critiquer l’enfant, de se moquer de son goût de lui dire comment il faut faire. La situation s’inverse à l’adolescence. L’adolescent américain est soudain face à toutes sortes d’attentes, il va montrer à ses parents qu’il sait tirer profit de toutes les chances qu’ils se sont efforcés de lui donner. Et il se devra de toujours aller plus loin, plus haut, sans répit. Ne pas le faire serait se résigner à la médiocrité, au gaspillage des chances, et à l’échec suprême qui consiste à ne pas exploiter son potentiel humain.
Dans ce prolongement, le rôle du professeur est de donner à l’étudiant le moyen de développer ce en quoi il excelle. Il ne se permettra pas de critiquer en public le travail d’un étudiant. L’étudiant américain est habitué dès l’enfance à l’explication plutôt qu’à l’écoute absolue. Pendant un cours, il posera des questions, remettra en question. Le professeur ne prendra pas cette attitude pour un défi à son autorité ou un signe d’hostilité. Il cherchera plutôt à encourager cette attitude qu’il percevra comme un signe d’indépendance intellectuelle et un désir sincère de mieux comprendre.

Quatrième essai : le couple
Dans la culture américaine, l’espace mis entre les deux partenaires (par le discours ou physiquement) est symptôme de désunion. Critiques, reproches ou séparations même de courte durée seront donc destructeurs. Les couples américains évitent de se contredire ou de se chamailler en public car le conflit met les spectateurs mal à l’aise. Le couple idéal américain est toujours d’accord. Liens affectifs et comportement sont liés. Aimer c’est aussi pouvoir prédire et satisfaire tous les besoins de l’autre, l’encourager à être tel qu’il voudrait être, le soutenir même dans ses entreprises les plus folles, prendre son parti et le défendre s’il est attaqué en public.
La stabilité du couple français est elle basée sur la possibilité d’être accepté tel qu’on est, avec ses qualités et ses défauts. Liens affectifs et comportement sont indépendants. Montrer en présence d’amis qu’on peut se contredire, se quereller, discuter avec passion (très choquant pour un Américain), c’est affirmer la force des liens affectifs.

Cinquième essai : l’amitié
Dans les deux cultures, il est admis que « les amis s’entraident ». Mais pour un Français, si X est mon ami, je présuppose qu’il va proposer de m’aider alors que pour un Américain, si X est mon ami, il va me demander de l’aider s’il a besoin de moi. Mais si je propose mon aide à un Américain il peut le percevoir comme une invasion insoutenable dans sa vie privée, et comme la suggestion qu’il est incapable de s’assumer.
« Se comprendre » peut également ne pas avoir exactement le même sens. Du côté américain, cela sous-entend se soutenir, ne pas prendre parti pour un adversaire, abonder dans le sens de l’autre. Du côté français, l’ami peut remettre en cause le comportement de l’autre afin de lui « secouer les puces ». Dans une telle situation, l’Américain se sentirait trahi.
Pour un Français, une fois les liens d’amitié établis, ils peuvent résister à toutes sortes d’épreuves. Pour un Américain, l’amitié la plus solide semble contenir en elle un élément constant de fragilité. Il faut préserver l’équilibre qui sauvegarde l’amitié. Par exemple, on n’accable pas ses amis de tous ses problèmes, si cela est à sens unique.
Pour un Américain, l’ami est dépositaire de ses secrets. Garder ses amis séparés les uns des autres, ne pas les faire se rencontrer, est une façon de s’assurer de la discrétion totale. C’est comme si l’Américain construisait ses amitiés autour de deux plans qui s’entrecoupent :
Un plan horizontal : Il est au centre d’une étoile de mer dont chaque branche constitue une amitié.
Un plan vertical : Une pyramide reflète la hiérarchie de ses amitiés. Aux amitiés du haut de la pyramide (une seule personne est au sommet) il réserve une vigilance constante, des efforts, des soins. La base de la pyramide est constituée par les personnes dont il aime bien la compagnie de temps en temps, lors de dîners ou de parties. A ces moments les échanges sont intentionnellement superficiels (small talks).
Pour un Américain, son amitié est un « trésor » qu’il dépose chez quelques élus, et qu’il retire s’ils cessent d’en être dignes. Maintenir cette amitié demande vigilance et efforts. « Ami » est un titre qui se mérite.

Sixième essai : le téléphone
L’auteur observe et interprète les différences d’utilisation de cet outil au bureau et dans la vie privée. Elle note en particulier qu’en France, dans le cadre de relations amicales ou familiales, le fil téléphonique devient l’extension symbolique du lien entre appelant et appelé. On peut s’appeler « pour rien », pour le plaisir. On peut aussi passer des coups de fil rituels, comme à Noël ou au Nouvel An, où c’est l’acte d’appeler qui compte, davantage que ce qui est dit. Pour un Américain, les longues conversations entre adultes au téléphone « pour rien » sont considérées comme une perte de temps et on privilégie les conversations courtes avec un but précis. Un Américain peut dire à un ami « I can’t talk now » (un Français serait offusqué), et c’est pour lui le signe d’une relation forte, puisqu’il se le permet.
Nota : Il serait intéressant d’avoir aujourd’hui une étude sur les nouveaux comportements générés par les téléphones portables.

Septième essai : le « petit » accident
Si, Américain, j’emprunte un objet à quelqu’un je suis supposé le rapporter exactement dans l’état où il me l’a prêté, et donc le faire réparer si besoin. Si l’accident est irréparable, je me dois de remplacer l’objet par un objet identique. Si l’accident arrive chez quelqu’un, l’Américain fautif affichera clairement qu’il est consterné par sa maladresse et ne cherchera pas d’excuse. Il insistera pour faire réparer l’objet : implicitement, il peut ainsi se dégager de sa culpabilité. Ne pas le lui permettre pourrait entraîner la rupture de la relation, car cela montrerait que bien peu de cas est porté à ses sentiments. Il existe un pacte tacite entre prêteur et emprunteur. L’attention que je porte aux objets qui me sont prêtés et mis à ma disposition exprime le respect que je porte au prêteur. Le soin porté à l’objet sera donc proportionnel à l’importance que je donne à celui qui me l’a confié.
L’auteur observe qu’un Français qui abîme quelque chose chez quelqu’un pourra réagir par une blague-plaisanterie ou une blague-reproche, proche de l’accusation déguisée : l’objet renversé n’aurait pas dû être à cette place, la moquette tâchée pas aussi claire… Les offres de réparation ne sont pas systématiquement faites, elles peuvent être faites sans être réalisées (« tu me diras combien je te dois »), ou encore faites, mais à la satisfaction de personne. Ces comportements ne remettent pas en cause la relation amicale : celle-ci présuppose en effet une sorte de « résistance aux épreuves ».

Huitième essai : se renseigner
Le premier mouvement d’un Français pour obtenir un renseignement semble être de demander à quelqu’un d’autre. Aux Etats-Unis, la self-sufficiency est prisée et « n’avoir besoin de personne » est un but souhaitable. L’Américain qui demande un renseignement s’attend à obtenir le plus de données possibles, qu’il combinera comme il l’entend (il a besoin de renseignements corrects). Le Français quant à lui préfère exprimer ses désirs et qu’on lui donne les renseignements lui permettant de les satisfaire (il a besoin de quelqu’un sur qui compter).

Pour conclure, l’auteur replace son étude dans une perspective d’ouverture, et comme une invitation au lecteur à s’engager dans l’exigeante et néanmoins fascinante pratique de l’analyse culturelle. Elle permet en effet de transformer la blessure du malentendu en passionnante exploration de l’autre.

2 commentaires:

xxxxxxxxx a dit…

Ce livre a l'air intéressant, est ce que tu as les références?

Springer Claude a dit…

Le travail de synthèse a été si prenant... et vous n'avez plus d'idée pour la suite ? Dire que je vous surcharge !!!